L'HISTOIRE D'EN AVANT![]()
![]() LA SAGA GUINGAMP1972-1977, les fondations.
"Un chahut d'étudiants". Les deux mots veulent à eux seuls
résumer une insouciance révolue dans la bouche d'un
désormais notable. Car l'aventure collective de l'En Avant se mêle
à l'ascension personnelle de Noël Le Graët. Indissociables.
Les actes de naissance se confondent. 1971: Le Graët arrive à la
présidence du club. Saison 1972-73: Guingamp, équipe de DSR,
devient célèbre dans tout le pays en éliminant quatre
équipe de D2 (Laval, Brest, Le Mans, Lorient) pour échouer en
huitième de finale de la Coupe de France face à Rouen.
Car beaucoup des héros d'alors sont restés au club. Le capitaine
Sylvestre Salvi, aujourd'hui en charge des moins de quinze ans: "Nous
étions des amateurs améliorés. Nous avions une
hygiène de vie et les autres nous jalousaient parce que nous partions le
samedi soir pour jouer le lendemain. Le Graët cherchait toujours à
joindre l'utile à l'agréable. Si nous jouions à Caen le
dimanche, nous allions voir un match de basket la veille. Après notre
parcours en Coupe, plutôt que de toucher 1000F de prime, nous
sommes tous partis au Club Med en Roumanie avec 400F d'argent de poche.
C'était notre récompense et notre stage d'avant-saison"
Parce que très vite, Guingamp va se prendre au jeu. "Le déclic
ce fut la Coupe. C'est elle qui nous a donné l'ambition",
reconnaît Le Graët. Une ambition que le président porte en lui,
"toujours plus grande", précise Hervé Le Coz qui gravira
tous les échelons de la DSR à la D2. "Je l'ai vu changer
le cours d'un match à la mi-temps, se souvient Salvi. Il parlait,
nous engueulait à avoir la chair de poule." Et Guingamp grimpe
à toute vitesse sans bouleverser son groupe. "Nous en perdions un
ou deux au fil des ascensions et les nouveaux n'arrivaient que pour remplacer
les partants", explique Hervé Le Coz. "Cela a toujours
été la force de Guingamp jusqu'à aujourd'hui,
reprend Salvi. Conserver le groupe malgré les montées et
chercher celui qui manque pour l'intégrer."
Une garantie de continuitée dans le style, toujours résolument
offensif. "Nous jouions régulièrement en 4-2-4 et je ne me
souviens pas avoir taclé de ma carrière. Le foot, c'est simple:
des passes et des buts", résume Sylvestre Salvi. Le foot comme
philosophie de la vie, comme l'explique Yvan Le Quéré: "A
l'époque, le football donnait une seconde éducation, un
élément essentiel de l'apprentissage. Avec des valeurs communes.
Parce que les couleurs Rouge et Noire ou le nom d'En Avant ne sont pas
fortuites."
1977-1986: les années Keru.
La montée en D2 intervient logiquement en 1977. Pour beaucoup, Guingamp
a atteint le sommet. Mais l'ambition de Le Graët reste entière.
"Son succès, c'est d'avoir toujours su choisir l'homme qui
permettrait de passer à l'échellon supérieur, explique
Hervé Le Coz. Avec Claude Pérard, la première année,
puis René Cédolin (de 1978 à 1981), le club a gagné
en rigueur sur le plan physique. L'arrivée de Keruzoré a
permis de passer un autre cap sur le plan tactique."
L'année suivante, ce sont les huitièmes. "Tout est possible
à condition d'avoir le stade, les structures". Noël Le Graët
se lance dans la bataille. Longue, difficile dans une ville de 8000 habitants
et qui n'aboutira qu'en 1990 avec le Roudourou pour succéder au vieux
Yves-Jaguin.
"Plus qu'un événement particulier, c'est surtout notre
manière de jouer qui reste mon principal souvenir, remarque Alain
Thibout. Tout le monde jouait le même football tourné vers le
but adverse. Nos deux caractéristiques, c'était vivacité
et technique. C'était un jeu à une ou deux touches de balle
parce qu'on avait les joueurs, Keru, Guegan, Lubin, Sagna, Szarmach, etc, pour
évoluer en 4-3-3 la plupart du temps."
Yvan Le Quéré, résume en une phrase l'impact
Keruzoré: "Il avait une équipe qui le dévorait avec des
yeux gourmands, des yeux amoureux. C'était un pédagogue
d'une grande qualité. Et aujourd'hui, même si Guingamp est en D1,
c'est avec Raymond que j'ai vu le plus beau jeu." En 1984, après
l'épopée Coupe, le groupe explose pour la première fois:
huit départs dont celui de Pascal Tibeuf pour Monaco. Le Graët
réagit en franchissant le pas du professionnalisme. "Nous devons
être l'une des première SEM de France"
Mais Kéruzoré échoue aux portes de la D1 en 1986, battu par
Alès en barrage. Son départ marque le début d'une
période trouble, instable, pendant laquelle Guingamp va chercher sa voie.
1986-1993, la transition.
Jean-Noël Huck sera le premier à payer les pots cassés.
"Sur le plan humain, il correspondait bien à l'image du club",
reconnaît Yvan Le Quéré, qui lui succédera au bout de
six mois avant d'être lui-même limogé sans états
d'âme par Le Graët après vingt-cinq ans de présence
au club. "Mais l'héritage était lourd et surtout on entre
dans une période de tâtonnement. Le rêve de Le Graët,
c'était d'accéder à la D1 avec une équipe de Bretons.
Difficile car il y avait Rennes et Nantes au-dessus de nous avec leur
pouvoir d'attraction. Il a essayé de conserver la fibre bretonne par
le bias des entraîneurs avec moi puis Rabier."
Puis Noël Le Graët change son fusil d'épaule, quitte à
bafouer les valeurs qui ont fait le succès du club. Il recrute
Erik Monbaerts du PSG. Pilorget le suivra, qui n'a laissé aucun
souvenir inoubliable dans la région. Avec Alain de Martigny qui
succède à Montbaerts, l'En Avant tente de retrouver ses valeurs
bretonnes. "Mais toutes ces années sont aussi celles de
l'apprentissage du professionnalisme, avance Le Quéré.
Désormais, seul le résultat compte. Raymond avait le talent pour
réussir et il failli y parvenir. Moi, je n'avais pas l'expérience
pour gérer ce qui devenait une entreprise." Car l'ambition du
club doit rester en accord avec celle du patron, qui devient président
de Ligue Nationale de Football en 1991. Noël Le Graët
démissionne donc de ses fonctions et cède son fauteuil
guingampais à Bertrand Salomon.
Une des premières décisions du nouveau patron du foot
professionnel français est de créer une super D2 à
vingt-deux clubs dès la saison 1992-93. Alain de Martigny puis Yvon
Schmitt, qui assure l'intérim en cours de saison, n'empêcheront
pas Guingamp d'endosser le costume de dindon farci.
1993-1997, la révolution Smerecki.
La fidélité et la force de persuasion du patron du foot pro.
Comment expliquer autrement que l'En avant conserve son budget et un
effectif d'une telle qualité que l'on retrouvera en partie en D1
quelques mois plus tard.
L'arrivée de Smerecki marque une nouvelle étape dans la
progression guingampaise. Lui aussi est frustré de D1, limogé
de Valenciennes qu'il vient pourtant de faire monter au plus haut
niveau. Avec Smerecki, Guingamp va achever sa mue professionnelle. "The
right man at the right place, comme on dit, explique Yvan Le
Quéré. Il a fait évoluer Guingamp à 100% et fait
d'un club de D2 qui reposait sur des valeurs de vie communes un
véritable club pro."
"Il n'y a plus de place pour les états d'âme. Smerecki est
le chef", conclut Le Quéré. "Je ne faisais pas partie
du sérail guingampais. Je n'avais jamais rencontré Noël
Le Graët. J'arrivais avec une approche extérieure. Tout le
monde apris conscience que le club ne devait pas crever." Pour cela
Smerecki va s'investir complètement. "Quand les gens s'impliquent
ici, ce doit être 24 heures sur 24, ajoute Yvon Schmitt. Vu les
moyens du club, il n'y a pas d'autre solution."
Un profil qui correspond parfaitement à celui de Smerecki. "Il a
peut-être eu aussi la chance de récupérer le groupe en N1,
à un niveau assez bas, avance Le Quéré. Etant
largement supérieur aux autres équipes, Guingamp a eu le temps
de s'organiser sans trop de pression." L'En Avant remonte aussitôt
et dès la saison suivante, accède enfin à l'impensable: la
Première Division. Smerecki conserve son groupe, procède par
petites touches pour combler les lacunes. "Nous avons réussi sur
une volonté sportive. C'est le sportif qui a fait avancer le reste,
l'organisation du club, les nouvelles structures. Notre stabilité
nous permet aujourd'hui d'avoir des références."
Guingamp ne fait plus rire. Le club est passé du statut de petit sous
l'aile de Le Graët à celui d'équipe respectée. Bien
sûr, elle n'est plus à 100% bretonne. Keruzoré avait
commencé son recrutement à l'"extérieur", Smerecki
et Schmitt poursuivent. "C'est inévitable. Il existe une
concurrence effrénée en Bretagne comme ailleurs. Des observateurs
sont là pour Monaco, Caen, Auxerre,... explique Sylvestre Salvi.
Une aventure comme la nôtre en 1973 serait impossible aujourd'hui.
Cette équipe de Gambardella aurait été pillé sans
états d'âme."
"Sur la base des quatre années précédentes, cette finale
de Coupe de France n'était pas une aberration, analyse Smerecki.
En tout cas, elle n'a rien gâché car cette saison est
peut-être la plus riche de notre histoire: nous n'avons jamais
figuré parmis les relégables, nous avons gagné l'Intertoto,
et nous avons joué l'Inter, avant cette finale." Restent les
procès sur le style. "On m'a reproché notre jeu peu
élaboré. Moi je sais ce que je cherche. Nous sommes un
compromis de ce qu'attend le spectateur."
"Depuis vingt-cinq ans, le club est en progression constante, remarque
Sylvestre Salvi. Nous venons de vivre un quart de siècle de
bonheur. Vu la taille du club, de la ville, c'est miraculeux. Mais attention,
au professionalisme. Il ne faut pas oublier ce qui a fait les valeurs du
club. La fièvre du samedi soir stoppera bien un jour. Nous ne pourront
pas continuer à monter indéfiniment. Il faut que les gens en
soient conscients." Ce que Noël Le Graët résume ainsi:
"Maintenant nous devons nous installer en Première Division. Et pour
ça, il va nous falloir beaucoup d'imagination."
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