En  Avant

L'HISTOIRE D'EN AVANT


LA SAGA GUINGAMP

De la saison 1972-73, celle des premiers exploits en Coupe, à la finale contre Nice, Guingamp a connu un quart de siècle euphorique, marqué par des hommes forts comme Le Graët, Kéruzoré ou, aujourd'hui, Smerecki. Retour sur une trajectoire unique.

1972-1977, les fondations.

  "Un chahut d'étudiants". Les deux mots veulent à eux seuls résumer une insouciance révolue dans la bouche d'un désormais notable. Car l'aventure collective de l'En Avant se mêle à l'ascension personnelle de Noël Le Graët. Indissociables. Les actes de naissance se confondent. 1971: Le Graët arrive à la présidence du club. Saison 1972-73: Guingamp, équipe de DSR, devient célèbre dans tout le pays en éliminant quatre équipe de D2 (Laval, Brest, Le Mans, Lorient) pour échouer en huitième de finale de la Coupe de France face à Rouen.

  Le président a la trentaine, l'équipe vingt et un ans de moyenne d'âge. "Des joueurs qui ont vieilli ensemble", se souvient Le Graët. "Qui jouaient sur un champ, s'entraînaient une fois par semaine le vendredi soir parce qu'ils étaient étudiants à Rennes ou ailleurs." Une bande de potes soudés depuis une aventure en Gambardella en 1969. "Nous avions étés éliminés en quart par Saint-Etienne. Ceux qui allaient devenir les Verts", précise Yvon Schmidt, aujourd'hui adjoint de Francis Smerecki.

  Car beaucoup des héros d'alors sont restés au club. Le capitaine Sylvestre Salvi, aujourd'hui en charge des moins de quinze ans: "Nous étions des amateurs améliorés. Nous avions une hygiène de vie et les autres nous jalousaient parce que nous partions le samedi soir pour jouer le lendemain. Le Graët cherchait toujours à joindre l'utile à l'agréable. Si nous jouions à Caen le dimanche, nous allions voir un match de basket la veille. Après notre parcours en Coupe, plutôt que de toucher 1000F de prime, nous sommes tous partis au Club Med en Roumanie avec 400F d'argent de poche. C'était notre récompense et notre stage d'avant-saison"

  Parce que très vite, Guingamp va se prendre au jeu. "Le déclic ce fut la Coupe. C'est elle qui nous a donné l'ambition", reconnaît Le Graët. Une ambition que le président porte en lui, "toujours plus grande", précise Hervé Le Coz qui gravira tous les échelons de la DSR à la D2. "Je l'ai vu changer le cours d'un match à la mi-temps, se souvient Salvi. Il parlait, nous engueulait à avoir la chair de poule." Et Guingamp grimpe à toute vitesse sans bouleverser son groupe. "Nous en perdions un ou deux au fil des ascensions et les nouveaux n'arrivaient que pour remplacer les partants", explique Hervé Le Coz. "Cela a toujours été la force de Guingamp jusqu'à aujourd'hui, reprend Salvi. Conserver le groupe malgré les montées et chercher celui qui manque pour l'intégrer."

  Une garantie de continuitée dans le style, toujours résolument offensif. "Nous jouions régulièrement en 4-2-4 et je ne me souviens pas avoir taclé de ma carrière. Le foot, c'est simple: des passes et des buts", résume Sylvestre Salvi. Le foot comme philosophie de la vie, comme l'explique Yvan Le Quéré: "A l'époque, le football donnait une seconde éducation, un élément essentiel de l'apprentissage. Avec des valeurs communes. Parce que les couleurs Rouge et Noire ou le nom d'En Avant ne sont pas fortuites."

1977-1986: les années Keru.

  La montée en D2 intervient logiquement en 1977. Pour beaucoup, Guingamp a atteint le sommet. Mais l'ambition de Le Graët reste entière. "Son succès, c'est d'avoir toujours su choisir l'homme qui permettrait de passer à l'échellon supérieur, explique Hervé Le Coz. Avec Claude Pérard, la première année, puis René Cédolin (de 1978 à 1981), le club a gagné en rigueur sur le plan physique. L'arrivée de Keruzoré a permis de passer un autre cap sur le plan tactique."

  Et d'amener "une fantaisie, une image plus bretonnante" dixit Le Graët. Keru, le symbole, arrive avec sa caution, Jean Prouff, autre monument granitique, qui va superviser l'ensemble. Keru à Guingamp! D'abord entraîneur-joueur. Avec lui, plus rien d'impossible. La lecture du livre d'or costarmoricain s'accélère. En 1983, l'En Avant fait mieux que dix auparavant et atteint les quarts de finale de la Coupe de France.

  L'année suivante, ce sont les huitièmes. "Tout est possible à condition d'avoir le stade, les structures". Noël Le Graët se lance dans la bataille. Longue, difficile dans une ville de 8000 habitants et qui n'aboutira qu'en 1990 avec le Roudourou pour succéder au vieux Yves-Jaguin.

  "Plus qu'un événement particulier, c'est surtout notre manière de jouer qui reste mon principal souvenir, remarque Alain Thibout. Tout le monde jouait le même football tourné vers le but adverse. Nos deux caractéristiques, c'était vivacité et technique. C'était un jeu à une ou deux touches de balle parce qu'on avait les joueurs, Keru, Guegan, Lubin, Sagna, Szarmach, etc, pour évoluer en 4-3-3 la plupart du temps."

  Yvan Le Quéré, résume en une phrase l'impact Keruzoré: "Il avait une équipe qui le dévorait avec des yeux gourmands, des yeux amoureux. C'était un pédagogue d'une grande qualité. Et aujourd'hui, même si Guingamp est en D1, c'est avec Raymond que j'ai vu le plus beau jeu." En 1984, après l'épopée Coupe, le groupe explose pour la première fois: huit départs dont celui de Pascal Tibeuf pour Monaco. Le Graët réagit en franchissant le pas du professionnalisme. "Nous devons être l'une des première SEM de France"

  Mais Kéruzoré échoue aux portes de la D1 en 1986, battu par Alès en barrage. Son départ marque le début d'une période trouble, instable, pendant laquelle Guingamp va chercher sa voie.

1986-1993, la transition.

  Jean-Noël Huck sera le premier à payer les pots cassés. "Sur le plan humain, il correspondait bien à l'image du club", reconnaît Yvan Le Quéré, qui lui succédera au bout de six mois avant d'être lui-même limogé sans états d'âme par Le Graët après vingt-cinq ans de présence au club. "Mais l'héritage était lourd et surtout on entre dans une période de tâtonnement. Le rêve de Le Graët, c'était d'accéder à la D1 avec une équipe de Bretons. Difficile car il y avait Rennes et Nantes au-dessus de nous avec leur pouvoir d'attraction. Il a essayé de conserver la fibre bretonne par le bias des entraîneurs avec moi puis Rabier."

  Puis Noël Le Graët change son fusil d'épaule, quitte à bafouer les valeurs qui ont fait le succès du club. Il recrute Erik Monbaerts du PSG. Pilorget le suivra, qui n'a laissé aucun souvenir inoubliable dans la région. Avec Alain de Martigny qui succède à Montbaerts, l'En Avant tente de retrouver ses valeurs bretonnes. "Mais toutes ces années sont aussi celles de l'apprentissage du professionnalisme, avance Le Quéré. Désormais, seul le résultat compte. Raymond avait le talent pour réussir et il failli y parvenir. Moi, je n'avais pas l'expérience pour gérer ce qui devenait une entreprise." Car l'ambition du club doit rester en accord avec celle du patron, qui devient président de Ligue Nationale de Football en 1991. Noël Le Graët démissionne donc de ses fonctions et cède son fauteuil guingampais à Bertrand Salomon.

  Une des premières décisions du nouveau patron du foot professionnel français est de créer une super D2 à vingt-deux clubs dès la saison 1992-93. Alain de Martigny puis Yvon Schmitt, qui assure l'intérim en cours de saison, n'empêcheront pas Guingamp d'endosser le costume de dindon farci.

1993-1997, la révolution Smerecki.

  Guingamp en N1! Depuis vingt ans que le club a commencé sa mise sur orbite, c'est le premier accident de parcours. De quoi démolir l'enthousaisme. Les nouvelles fonctions nationales de Le Graët et son aura au sein du club, même si Salomon lui a succédé, vont faciliter le rebond. "Guingamp a toujours bénéficié de la stabilité de ses dirigeants. Même chose pour les partenaires. Rippoz est fidèle depuis quatorze ans. Guingamp a bien travaillé son économie locale, explique Le Graët. Toutes les coopératives, toutes les PME de la région sont impliquées dans l'En Avant. Il n'en manque pas une. Il serait possible de trouver un sponsor plus important, mais ce serait une grave erreur. C'est la fidélité qui nous a permis de surmonter les coups durs."

  La fidélité et la force de persuasion du patron du foot pro. Comment expliquer autrement que l'En avant conserve son budget et un effectif d'une telle qualité que l'on retrouvera en partie en D1 quelques mois plus tard.

  L'arrivée de Smerecki marque une nouvelle étape dans la progression guingampaise. Lui aussi est frustré de D1, limogé de Valenciennes qu'il vient pourtant de faire monter au plus haut niveau. Avec Smerecki, Guingamp va achever sa mue professionnelle. "The right man at the right place, comme on dit, explique Yvan Le Quéré. Il a fait évoluer Guingamp à 100% et fait d'un club de D2 qui reposait sur des valeurs de vie communes un véritable club pro."

  "Il n'y a plus de place pour les états d'âme. Smerecki est le chef", conclut Le Quéré. "Je ne faisais pas partie du sérail guingampais. Je n'avais jamais rencontré Noël Le Graët. J'arrivais avec une approche extérieure. Tout le monde apris conscience que le club ne devait pas crever." Pour cela Smerecki va s'investir complètement. "Quand les gens s'impliquent ici, ce doit être 24 heures sur 24, ajoute Yvon Schmitt. Vu les moyens du club, il n'y a pas d'autre solution."

  Un profil qui correspond parfaitement à celui de Smerecki. "Il a peut-être eu aussi la chance de récupérer le groupe en N1, à un niveau assez bas, avance Le Quéré. Etant largement supérieur aux autres équipes, Guingamp a eu le temps de s'organiser sans trop de pression." L'En Avant remonte aussitôt et dès la saison suivante, accède enfin à l'impensable: la Première Division. Smerecki conserve son groupe, procède par petites touches pour combler les lacunes. "Nous avons réussi sur une volonté sportive. C'est le sportif qui a fait avancer le reste, l'organisation du club, les nouvelles structures. Notre stabilité nous permet aujourd'hui d'avoir des références."

  Guingamp ne fait plus rire. Le club est passé du statut de petit sous l'aile de Le Graët à celui d'équipe respectée. Bien sûr, elle n'est plus à 100% bretonne. Keruzoré avait commencé son recrutement à l'"extérieur", Smerecki et Schmitt poursuivent. "C'est inévitable. Il existe une concurrence effrénée en Bretagne comme ailleurs. Des observateurs sont là pour Monaco, Caen, Auxerre,... explique Sylvestre Salvi. Une aventure comme la nôtre en 1973 serait impossible aujourd'hui. Cette équipe de Gambardella aurait été pillé sans états d'âme."

  "Sur la base des quatre années précédentes, cette finale de Coupe de France n'était pas une aberration, analyse Smerecki. En tout cas, elle n'a rien gâché car cette saison est peut-être la plus riche de notre histoire: nous n'avons jamais figuré parmis les relégables, nous avons gagné l'Intertoto, et nous avons joué l'Inter, avant cette finale." Restent les procès sur le style. "On m'a reproché notre jeu peu élaboré. Moi je sais ce que je cherche. Nous sommes un compromis de ce qu'attend le spectateur."

  "Depuis vingt-cinq ans, le club est en progression constante, remarque Sylvestre Salvi. Nous venons de vivre un quart de siècle de bonheur. Vu la taille du club, de la ville, c'est miraculeux. Mais attention, au professionalisme. Il ne faut pas oublier ce qui a fait les valeurs du club. La fièvre du samedi soir stoppera bien un jour. Nous ne pourront pas continuer à monter indéfiniment. Il faut que les gens en soient conscients." Ce que Noël Le Graët résume ainsi: "Maintenant nous devons nous installer en Première Division. Et pour ça, il va nous falloir beaucoup d'imagination."